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Rétrospective du Festival Recherche & Société REA 2021 : Le Transhumanisme au cœur de l’attention

Rétrospective du Festival Recherche & Société REA 2021 : Le Transhumanisme au cœur de l’attention

Subtilement introduit par le conseiller municipal Xavier Latour, le festival de Recherche & Société s’est érigé au sommet des consciences durant la journée du Jeudi 14 août 2021. Le courant transhumaniste a été défini comme étant le désir d’améliorer les performances humaines et d’augmenter son existence…

 

En soulevant habilement la problématique suivante : “Comment le transhumanisme va-t-il s’inscrire dans les crises et le courant de notre société ?”, Xavier Latour a pu mettre en marche la machine du débat et des prises de parole au sein de l’amphithéâtre de l’EDHEC.

 

Xavier Latour et Stéphanie Godier

 

 

Jean-Pierre Merlet, Responsable scientifique à l’INRIA

 

Comme premier intervenant, nous faisons place à Jean-Pierre Merlet, responsable scientifique à l’INRIA (l’Institut Nationale de Recherche en Sciences et Technologies du numérique). Sa conférence sur le transhumanisme s’imprègne de ses innombrables travaux concernant la robotique. Sur des notes d’humour, la prise de parole de cet homme de passion a pu captiver l’auditoire.

 

C’est avec ingéniosité qu’il introduit le sujet par sa racine la plus profonde, celle des récits de la mythologie grecque. “La robotique est née au début des années 60 mais le concept d’être artificiel remonte à l’Antiquité. Héphaïstos, dieu du feu et maître de la forge, s’est vu handicapé par sa chute du mont Olympe. Boiteux, il créa deux êtres artificiels pour le soutenir dans son travail d’orfèvre et de forgeron.” Le projet HEPHAISTOS soutenu par monsieur Merlet prend ainsi tout son sens…

 

La place du robot dans notre société se dédie à l’accompagnement de l’être humain dans le but d’en augmenter ses capacités. Les dispositifs présentés durant la conférence s’inscrivent parfaitement dans ce courant transhumaniste :

  • Un déambulateur connecté : Au service du troisième âge, ce prototype de déambulateur recueille toutes sortes de données précieuses telles que la vitesse de la personne et sa position géographique. Ainsi, les trajets effectués sont enregistrés dans une base de données qui deviendra, avec le temps, de plus en plus performante. La finalité de ce projet est de pouvoir fournir à l’usager un trajet optimisé prenant en compte toutes sortes de contraintes physiques (des trottoirs trop hauts, des pentes aux degrés élevés, des travaux…), se basant ainsi sur l’expérience de la base de données. C’est par l’apprentissage des trajets précédents que les itinéraires futurs seront plus optimisés pour une personne à mobilité réduite.
  • Une canne connectée : Également équipée d’un accéléromètre et d’un gyroscope, la canne présentée durant la conférence reconnaît sa position dans l’espace. Par conséquent, si cette dernière est au sol et en position horizontale, elle pourra se redresser d’elle-même par le biais d’un petit piston hydraulique. De ce fait, la personne âgée n’aura guère besoin de se baisser pour l’attraper afin d’éviter tous risques de chutes.

 

Des robots plus évolués comme les prototypes Asimo et Atlas sont impressionnants mais ils restent néanmoins extrêmement coûteux. De plus, leurs actions se limitent aux ordres fixés par leurs créateurs : un robot capable de modéliser ses propres idées se rapproche plus de la science-fiction que de notre réalité. Voici pourquoi, selon Jean-Pierre Merlet, la robotique ne prendra pas la place de l’humain, mettant un frein à toutes théories pessimistes du remplacement de notre espèce par notre création : la machine.

 

Jean-Pierre Merlet

 

Gilles Bernardin, Cardiologue au CHU de Nice

 

“Je répare plus que je n’augmente, c’est pourquoi je garde mes distances avec le transhumanisme” déclare Gilles Bernardin, éminent cardiologue au CHU (Centre Hospitalier Universitaire) de Nice. C’est en naviguant sur une approche pessimiste que monsieur Bernardin dépeint le courant transhumaniste comme étant l’aboutissement de l’un des vices de l’humain : le désir “d’ammortalité”.

 

En à peine trois siècles, nous avons multiplié notre espérance de vie par 3. Nous mettons en place des procédés de bio-impression révolutionnaires : l’entreprise BIOLIFE4D a réussi l’exploit d’imprimer un cœur de souris dont les battements provoquent des palpitations au sein de la communauté scientifique. Plus encore, les progrès ont permis d’imprimer de la peau neuve sur des victimes de brûlures graves. Mais qu’en est-il des dérives ? Quelles sont les limites que l’humain ne doit pas franchir ? Gilles Bernardin nous fait généreusement part d’exemples où l’augmentation prend la place sur la réparation :

 

  • ALCOR Life extension foundation : Cette entreprise a pour activité la cryogénisation de l’être humain. En effet, il est désormais possible (moyennant une somme d’argent conséquente) de se faire cryogéniser dans l’espoir d’être décongelé dans un futur plus ou moins proche. Ce concept attire une clientèle de tout part et pour des motivations diverses. Attendre le futur dans l’espoir d’être soigné d’une maladie présentement incurable ou bien tenter de préserver sa conscience pour qu’un “ordinateur du futur” puisse la télécharger afin d’atteindre l’immortalité… Voici certaines des motivations exprimées à l’égard de ce projet aux airs de Futurama.
  • Un bébé OGM : Le chercheur chinois en biophysique He Jian Kui (ou 贺建奎 dans sa langue natale) a été, en 2018, au coeur d’un scandale autant éthique que scientifique. Il a été le premier humain à franchir l’une des limites les plus importantes de la génétique : modifier le génome humain. En s’aidant de la protéine Cas9, il a pu créer 2 bébés résistants au VIH. Seulement, cette même protéine se montre également efficace quant au renforcement cognitif du sujet… Nous assistons là aux prémices du trie embryonnaire et de l’augmentation de l’être vivant avant même sa naissance.

 

Gilles Bernardin finit sa conférence en évoquant la dangerosité de la manipulation du génome et nous met en garde en citant la Loi de Gabor : “Tout ce qui est faisable sera un jour réalisé”. En d’autres termes, l’application du transhumanisme dans nos sociétés doit être un choix mûrement réfléchi et doit prendre en compte diverses acteurs tels que des philosophes, scientifiques, politiciens, juristes, communicants…

Gilles Bernardin

 

Le point startup, Neurodec & Ekinnox au service de la médecine

 

Deux startups ont été invitées à prendre parole devant l’amphithéâtre de l’EDHEC. Toutes deux dévouées à accompagner l’humain par le biais de la médecine, elles nous ont présenté leurs activités et leurs espérances pour le futur :

 

  • Neurodec : Représentée par son fondateur Konstiantyn Maksymenko, la startup Neurodec se spécialise dans la création d’un logiciel permettant de décoder des mouvements musculaires pour, par la suite, en faire une simulation informatique. En utilisant l’électromyographie1, le logiciel Myoelectric Digital Twin a pu simuler un avant-bras humain. Il pourra notamment se montrer utile pour le domaine du sport afin d’optimiser les diagnostics médicaux et la rééducation des patients.
  • Ekinnox : Le co-fondateur Baptiste Fosty a pris place pour nous présenter sa startup. Ekkinox a pour objectif de démocratiser le mouvement humain dans le but d’en simplifier l’analyse. L’analyse médicale est connue pour être extrêmement coûteuse et peu abordable, c’est pourquoi il propose une solution qui s’ouvrira peu à peu au grand public. Kintrack permet de recueillir toutes sortes de données physiologiques à partir de caméras. L’analyse de la posture et de la démarche d’un patient se fera donc en quelques minutes pour un résultat semblable à de la motion capture. A l’avenir, ce logiciel pourrait éventuellement prévoir les risques de blessures potentielles chez les sportifs amateurs ou professionnels.

 

 

Concluons sur une note d’espoir

 

Comme il a pu être dit durant la table ronde, l’humain doit être accompagné et non remplacé. De ce fait émerge le concept de “robot aidant” permettant à l’humain des économies de temps. En médecine par exemple, un robot de la sorte pourrait s’occuper de la toilette du patient tandis que le ou la docteur.e pourrait réinvestir ce temps pour veiller au confort du patient.

 

Il est donc important de mieux appréhender les enjeux que soulève le transhumanisme pour au mieux anticiper les débouchés de leurs applications. Comme l’a dit Rabelais “Science sans conscience n’est qu’une ruine de l’âme”, nous devons donc réfléchir aux conséquences de nos progrès afin d’éviter ce qui n’est pas souhaitable pour l’humanité.

 

 

1Electromyographie : Procédés permettant le recueil de mouvements musculaires par l’utilisation d’électrodes offrant la possibilité de les retranscrire en signaux électriques distincts. Cela permet de traduire les signaux électriques pour reconnaître la nature du mouvement musculaire à l’aide d’une intelligence artificielle.

 

 

 

Marius Grosjean

Rédacteur chez Recherche et Avenir

Festival Recherche & Société REA 2021 : Le transhumanisme, une perspective pour le futur de nos sociétés

Festival Recherche & Société REA 2021 : Le transhumanisme, une perspective pour le futur de nos sociétés

 

Le transhumanisme est un courant de pensée à la frontière entre la Science et la Philosophie. Par sa connotation futuriste, il est assez commun de penser que ce dernier n’a vu le jour que récemment. Cependant, l’Histoire nous dit qu’il aurait en fait vu ses premiers jours en France au cours de l’année 1937. Le polytechnicien Jean Coutrot fut la plume et l’encre de ce mode de pensée : “L’ébauche d’un transhumanisme” ne paraîtra que deux ans plus tard. Ces travaux seront par la suite repris en 1951, de l’autre côté de l’Atlantique, par un biologiste Américain du nom de Julian Huxley. Il fera de ce courant l’un des débats de notre ère.

 

Défini par Julian Huxley comme étant “un homme qui reste un homme, mais se transcende lui-même en déployant de nouveaux possibles de et pour sa nature humaine”, le transhumanisme occupe une place prépondérante dans notre société. Ce principe de post-humain dépassant ses propres limites par les inventions qu’il met au goût du jour ouvre une infinité de possibilités à son avenir. Le dépassement de ses capacités par l’alliance de son corps à la technologie est au centre de nombreuses discussions scientifiques et philosophiques. De nos jours, le transhumanisme s’appuie sur le progrès de divers domaines tels que la médecine, la robotique, l’informatique et les sciences traitant de l’intelligence artificielle.

 

 

Afin de faciliter la compréhension du lecteur sur cette notion particulière, nous pensons qu’il est pertinent de lister les applications actuelles et futures du Transhumanisme pour l’individu et la société :

 

 

En médecine, une dévotion pour la transformation corporelle :

 

Les liaisons qu’entretient la médecine avec le concept de transhumanisme sont étroites. Beaucoup s’accordent à dire que le corps humain est d’ores et déjà entré dans l’ère du transhumanisme. Une telle affirmation se vérifie par la considération qu’éprouve la société à l’égard de la santé humaine : “la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité” (selon le préambule de la Constitution de l’OMS). La médecine anti-âge en est une illustration parfaite car elle repose sur un combat contre la vieillesse, mécanisme qui par nature s’applique à tout être vivant sur cette planète à l’exception de la méduse turritopsis nutricula1.

 

D’autres applications, cette fois-ci plus tangibles peuvent être citées pour dépeindre l’implication du transhumanisme au service de la médecine. La chirurgie esthétique n’a pas pour objectif de soigner un être humain, elle a cependant pour vertu de “l’améliorer” selon des critères sociaux parfois discutés.

 

Le domaine du militaire, à la recherche d’une constante innovation :

 

Bien évidemment, le domaine du militaire puise dans ce courant quelques inspirations intéressantes. Nous avons par exemple tous entendu parler des exosquelettes, véritables extensions du corps humain permettant à son hôte de dépasser ses capacités physiques. Par extension, tout objet permettant à l’humain d’éliminer les défauts de sa nature imparfaite rentre dans ce courant (comme en témoignent les travaux de l’Irsem II sous la présidence du professeur Jean Didier Vincent). Nous pouvons ainsi affirmer que les radars, les radios servant à la communication à distance et les armes de guerre font unanimement partie de l’extension de l’être humain. Les robots de Boston Dynamics venant en aide pour des problématiques de logistiques sont également un bon exemple pour illustrer les applications du transhumanisme dans le domaine de la défense. Ces progrès doivent être en accord avec certaines questions éthiques, c’est pourquoi un grand nombre de philosophes modernes dévouent leurs pensées à ce sujet.

 

 

Des controverses à l’aube du progrès :

 

Tant de portes ouvertes vers l’avenir attirent de nombreux avis divergents. L’Eglise catholique, par exemple, exprime son désaccord avec de telles pratiques : “le recours à la modification génétique pour produire un surhomme ou un être doté de facultés spirituelles essentiellement nouvelles est impensable, puisque le principe de la vie spirituelle de l’homme […] n’est pas produit par des mains humaines” (déclaration du Vatican de 2004). La problématique d’aller au-delà de la volonté de Dieu fait entrer la théologie dans le débat houleux du transhumanisme.

 

Une autre critique reposant sur le fait que l’humain ait peur de la mort est mise en lumière par l’essayiste français Jean-Claude Guillebaud. D’autres se fondent sur la surenchère technologique au service du bonheur éphémère de l’individu (exprimé par le théologien sociologue Jacques Ellul). Certains disent à leur tour que le transhumanisme mènera à la déshumanisation de notre espèce comme en témoigne cette citation “Plus nous nous sentirons impuissants et déprimés, plus nous serons tentés de nous tourner vers les machines.” (Alvin Toffler, sociologue et futurologue américain).

 

S’ajoute au grand débat des avis pessimistes méritant également une certaine visibilité, d’autres questions. L’amélioration de l’être humain le poussera-t-il à mener des guerres eugéniques ? Le futur nous portera-t-il les prémisses de stigmatisation due aux différences causées par le transhumanisme ? Un film des plus marquants met en exergue l’une de ses dérives dans une société future : Bienvenue à Gattaca de Andrew Niccol.

 

 

Que de questions et de perspectives pour notre avenir… Le transhumanisme, omniprésent dans la société, est un courant dont l’importance est croissante et d’ampleur pour le destin de l’humanité.

 

 

 

 

1 Turritopsis nutricula : Cette méduse unique découverte dans les Caraïbes est en effet capable de combattre la vieillesse en n’en inversant le processus. Sa particularité est donc sa capacité à revenir au stade de polype durant lequel elle régénère ses cellules et se clone pour se reproduire.

Marius Grosjean

Rédacteur chez Recherche et Avenir